Le tilleul de Bernay




Depuis quelque temps déjà le tilleul de Bernay-en-Champagne se doutait de quelque chose. Le soleil de printemps a beau se monter le col comme pour faire croire à l'été, le vieil arbre garde obstinément son air triste d'hiver, comme s'il voulait que le temps fût suspendu.

Régulièrement son copain l'écureuil tente de le sortir de sa mélancolie : il saute alternativement du sapin au tilleul, du tilleul au sapin, jouant au clown équilibriste sur les petites branchettes. Entre deux pirouettes il se fige, jetant un regard interrogateur vers les volets de la maison : Mamie n'est plus là pour remercier d'un sourire la joyeuse pantomine. 

Ils sont seuls maintenant.

Les roses séchées



Moments difficiles, stress latent, continu.

Pour diminuer la pression, rassembler quelques objets. : un vase en étain un peu tordu, un bol bleu et quelques roses séchées, disposés à la hâte sur le rebord de la fenêtre. Et laisser le pinceau diriger la main et la tête, sans enjeu apparent. Se plonger dans la forme, la couleur et l'observation de la lumière, aussi mauvaise soit-elle, à tête perdue. Peu importe le résultat, c'est le geste qui compte.

Au bout d'un moment, sans savoir pourquoi ni comment, décider, avec regret, qu'il faut arrêter maintenant. Et sentir, surpris, que l'on a alors repris ses idées en main.

Petit paysage de neige.



Mercredi 7 mars. La neige a beaucoup fondu. Les pentes ont retrouvé leurs couleurs : gris-bleu des rochers, terres orangées des forêts de fayards, verts et bleus sombres des conifères contrastent violemment avec la blancheur des plaques de neige qui résistent ici ou là. Merveilleux spectacle, dont je voudrai saisir ne serait-ce qu'un brin de sa mystérieuse alchimie colorée.

Pas complètement guéri de ma folie de la veille je repars en montagne pour tenter une aquarelle.

Je me retrouve dans une petite combe. Au fond la neige est épaisse, mais sur ses flancs elle a fondu et on voit déjà apparaître le sol. Je reste à l'ombre pour ne pas rééditer l'aveuglement de la veille, mais je vise un sujet sur le versant ensoleillé, à quelques mètres.



Je veux prendre le temps de l'observation et noter sur ma feuille ce que j'en comprends.

Rapidement j'ai froid. L'eau gèle dans mes gobelets (cette fois, pas d'eau tiède !). Les couleurs n'en font qu'à leur tête. Quelques diffusions fonctionnent pas trop mal, et les retraits deviennent faisables.
De temps à autre je place le bloc de papier au soleil et au vent, à quelques mètres de mon tabouret. Vaille que vaille, cela sèche un peu.
Trois quarts d'heure à une heure plus tard  je prends le temps d'une petite virée photos, puis je plie bagage. L'aquarelle est encore humide, mais je ne peux pas la garder à la main car le terrain est trop accidenté : je suis obligé de la ranger dans le sac à dos avant qu'elle ne soit sèche. A nouveau le rabat du bloc de papier vient écraser la couleur... Après tout, ce n'est pas plus mal, peut-être.

Rentré à la maison, j'ai la surprise de découvrir sur le papier les couleurs et valeurs de ce que j'ai fait en grande partie involontairement :  elles sont plus ternes, moins contrastées que ce que je voyais sur place.

Ce n'est peut-être plus de la peinture d'aveugle, mais de borgne assurément.

Paysage de neige à Plaine-Joux



Mardi 6 mars 2012. Ce matin, grand soleil, mais le gel a formé une bonne croûte sur la neige, les raquettes n'enfoncent pas. Je décide d'aller m'installer au sommet du tertre à l'entrée de Plaine-Joux, pour un sujet simple et rapide.
Sur place, il est difficile d'installer le tabouret pliant, qui s'enfonce dans la neige jusqu'à hauteur du siège ! Avec les raquettes j'aménage rapidement une espèce de petite plate-forme de laquelle le tabouret émergera à mi-hauteur.
J'ai pris la précaution d'emmener de l'eau tiède, avec laquelle je remplis mes gobelets : mais ainsi réchauffés, ils s'enfoncent dans la neige ! Avec un peu de neige je rafraichi l'eau jusqu'à une température "raisonnable" qui maintiendra les gobelets en surface.
Pour assurer ma stabilité et garder mes pieds au sec je garde mes raquettes aux pieds, le sac à dos par dessus. Il servira de tablette à mon attirail : crayon, boîte de peinture, boîte à pinceaux, mouchoirs en papier... Mon bloc de papier est posé sur mes genoux.

Je cadre rapidement, plaçant quelques repères sur ma feuille, mais je me rends compte que je suis déjà ébloui par la réverbération du soleil sur la neige. Je dois faire des efforts pour distinguer les couleurs : plisser les yeux, regarder alternativement à travers et au-dessus de mes lunettes qui foncent à la lumière.

Je commence par le ciel, en utilisant comme à l'habitude les pigments qui sont restés sur la palette.
Je mouille le papier : l'eau gèle par endroit sur la feuille, formant des cristaux de glace qui empêchent le pigment d'atteindre le papier. Je souffle dessus pour le réchauffer et permettre ainsi la diffusion de la couleur. La combinaison de la glace et du souffle tiède provoquent de curieux effets.

Rapidement, à cause de la luminosité, je ne distingue plus les couleurs ni sur ma feuille ni sur la palette.  Le ciel sera donc de la couleur (ou des couleurs) que le hasard à placée là.
Pour le reste je pioche la couleur directement aux godets dont je connais l'emplacement dans la boîte, sans pouvoir distinguer si la couleur est la bonne.
C'est une espèce de peinture à l'aveugle.

Impossible de régler l'humidité, même au toucher : tout est froid, et d'ailleurs presque rien ne sèche. Je tamponne aux mouchoirs, j'offre la feuille au soleil. Curieusement, certains pigments semblent sécher plus rapidement que d'autres.

J'improvise, mais c'est la galère.
Après vingt minutes de bataille je plie bagages. L'aquarelle n'est pas sèche.
Je retourne à la voiture. L'aquarelle n'est toujours pas sèche.
Je retourne faire un petit tour pour prendre quelques photos, au retour l'aquarelle n'est toujours pas sèche.
Je rentre. A ma descente de voiture l'aquarelle n'est toujours pas sèche.
Tant pis, je replie dessus le rabat du bloc, qui provoquera de nouveaux effets très aléatoires.

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